Etre dublinée en Europe


Lors de son parcours pour arriver en France, Nurah a traversé l’Italie où elle a dû laisser ses empreintes. Ces empreintes font d’elle une dublinée en Europe, c’est-à-dire une migrante qui a déjà été enregistrée dans un autre pays européen et qui ne peut donc pas déposer sa demande d’asile en France.

Nurah dublinée en Europe

Nurah1, jeune érythréenne de 30 ans est partie depuis plus d’un an de son pays, direction la France. Pendant 24 heures, elle a grimpé et traversé les « gigantesques montagnes » qui séparent l’Italie de la France. Aujourd’hui, elle est une dublinée en Europe.

Réglement Dublin III : le parcours d’une dublinée en Europe

Après l’ascension de Nurah pour traverser les montagnes et rejoindre la France, son genou est tellement enflé qu’elle ne peut plus marcher.

Arrivée à Paris, après avoir vécu dans le campement de rue à Stalingrad, elle est transférée dans un hôtel social, où elle vit depuis 7 mois.

Elle prépare un thé. « C’est la tradition » dit-elle, mais ses yeux sont tristes lorsqu’elle explique à ses visiteurs qu’elle aurait voulu leur préparer un dîner typiquement érythréen. Malheureusement, elle ne peut pas cuisiner dans l’hôtel, et maintenant elle craint de sortir : « Dublin », me dit-elle en anglais.

Le « Dublin III » du 26 juin 2013 est un règlement européen qui prévoit que le premier pays européen dans lequel le demandeur d’asile s’enregistre devient responsable de la demande d’asile de cette personne. Les empreintes digitales de la personne sont enregistrées dans le fichier Eurodac pour 10 ans.

Attendre 6 mois pour déposer une demande d’asile

Lors de son parcours pour arriver en France, Nurah a traversé l’Italie où elle a dû laisser ses empreintes. Ces empreintes font d’elle une dublinée en Europe, c’est-à-dire une migrante qui a déjà été enregistrée dans un autre pays européen et qui ne peut donc pas déposer sa demande d’asile en France.

La France dispose de 6 mois pour transférer la personne dublinée vers le pays responsable de sa demande d’asile. Au-delà de cette période, si rien n’est fait, la personne a de nouveau le droit de demander l’asile en France.

Nurah a reçu un avis de transfert pour l’Italie, mais elle ne veut pas y retourner, elle voudrait rester en France, où elle a déjà commencé son cours de langue. Elle n’a que deux solutions : elle a la possibilité d’attendre la fin des 6 mois lorsque la France sera en mesure de prendre en charge sa demande, en espérant ne pas être arrêtée par la police d’ici-là. Sinon, elle peut faire un recours devant le tribunal administratif mais qui mettra en suspens le délai des 6 mois. Si le recours échoue, le délai reprend de 0, et Nurah devra à nouveau attendre 6 mois.

En France, le 12 juillet, le Premier ministre rappelle qu’en 2016, sur 91 000 migrants clandestins interpellés en France, 31 000 ont reçu une obligation de quitter le territoire, et seulement 25 000 l’ont effectivement quitté.

Nurah de dos entre dans la salle de bain, tandis qu'à la télé deux mannequins présentent un visage étonné

Un transfert contre 6000 euros

En 2017, 1 293 transferts de personnes ont été effectués vers un autre État membre contre 525 en 2015.

En ce qui concerne le nombre de transferts accordés, c’est l’Italie qui a donné le plus d’accords (plus de 4 000) devant l’Allemagne (3 705) l’Espagne (903) et la Pologne. La Hongrie qui était le premier saisi en 2015 n’est que 5ème avec 765 accords.

En 2010, une directive avait décidé que pour chaque personne transférée selon la procédure en vigueur, les États membres recevraient une somme de 6000 euros. Le but : inciter à l’accueil des réfugiés installés de manière précaire dans des pays tiers et qui sont dans l’impossibilité de revenir chez eux.

La proposition contenait une clause de solidarité temporaire  : si un état membre ne peut pas participer au total ou en partie à une décision de transfert, celui-ci est obligé de notifier les raisons à la Commission Européenne et de verser une contribution financière au Fonds Asile Migration Intégration (FAMI) égale à 0,002% de son PIB.

Le paradoxe de la situation actuelle est que l’Italie, entre le plan Triton 2017 et le code de conduite pour les ONG, est laissée, seule, et en première ligne pour l’accueil des migrants. Elle continue malgré tout à accepter les personnes qui arrivent.

Le pays qui sauve une vie est contraint de lui offrir aussi une protection

Dans la pratique une personne qui arrive en Italie, Espagne, Grèce, Hongrie, doit avoir la chance de ne pas se faire intercepter si elle veut rejoindre le pays où elle voudrait habiter. C’est une logique « perverse » quand on pense que le pays qui sauve une vie est le même qui doit lui offrir une protection et le même où la personne sera obligée de vivre et construire son futur. En effet, la personne dublinée en Europe ne pourra pas déménager dans un autre pays de l’UE pour travailler, étudier ou vivre. Un réfugié pour l’Italie n’est pas un réfugié pour l’Allemagne.

Après des mois de négociations et plus de 1 000 amendements, alors que les migrants continuent de débarquer en Sicile, le parlement Européen cherche un point d’accord et, pour la troisième fois, à modifier le règlement de Dublin.

Pendant ce temps, pour Nurah, dublinée en Europe, comme pour 90% des migrants en France qui sont dublinés, le parcours de la demande d’asile est encore long car partagé entre différents États de l’Union Européenne.

Dans ce contexte, un des objectifs du projet Réponse Rapide aux besoins des Migrants (RRM) de Première Urgence Internationale est de mettre en évidence la condition des migrants « dublinés » au sein des institutions, des partenaires et des citoyens, afin de faciliter la compréhension et la recherche d’une solution commune. En savoir plus sur notre projet

 

1Prénom de substitution

 

 

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