L’histoire d’un fermier palestinien face à une colonie israélienne


En Cisjordanie, les colonies israéliennes continuent de s’étendre, malgré la résolution des Nations Unies adoptée fin 2016. Première Urgence Internationale poursuit ses activités de protection pour les victimes d’attaques de ces colons, à travers un mécanisme de réponse d’urgence et des actions de plaidoyer. Les équipes soutiennent des fermiers palestiniens vivant dans les zones d’accès restreint, comme Sami, qui a vu ses terres annexées par une colonie.

fermier palestinien

La sœur de Sami, à dos d’âne le long des terres familiales. Et à quelques mètres seulement de la colonie israélienne voisine. © Collection privée / Sami Raddad.

Né en 1954 à Salfit, dans le centre de la Cisjordanie, Sami Raddad est un fermier palestinien, père de 9 enfants. Il a grandi dans les collines lorsqu’elles étaient encore sous gouvernorat jordanien. Avec sa famille, Sami a cultivé ses terres, où il a fait pousser de nombreux fruits et légumes. « Sur cette parcelle, nous avons fait pousser des pastèques et des concombres. Le reste, ce n’étaient que des oliviers », explique-t-il en pointant le doigt sur une carte.

Le terrain de Sami se trouve juste à côté du centre de Mas’ha, un village voisin du centre d’Az-Zawiya, où il vit. Pour montrer son terrain, Sami n’a pas d’autre choix que de s’aider d’une carte. Aujourd’hui, il ne peut plus accéder librement à ses propres terres.

Selon l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980, les autorités israéliennes ont émis plusieurs ordonnances pour s’approprier près d’un tiers des propriétés privées de Mas’ha. Elles y ont ensuite installé plusieurs avant-postes militaires. En s’étendant, ces infrastructures illégales se sont ensuite transformées en colonies, construites pour l’usage exclusif de colons israéliens. Au regard du droit international, ces colonies sont illégales. En vertu de la quatrième Convention de Genève (1949) — d’ailleurs signée par Israël — une puissance occupante « ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire qu’elle occupe ».

D’une propriété privée à une colonie israélienne illégale

En 1977, les clôtures de la colonie “Elkana” nouvellement établie sont sorties de terre, engloutissant ainsi le territoire de Sami. Cela a limité presque entièrement l’accès de la famille à ce terrain. Près de 2 hectares de terre se sont retrouvés de l’autre côté de la barrière, avec la colonie israélienne. Une expropriation qui lui retire sa principale source de revenus.

Quatre décennies plus tard, le terrain de Sami, déjà derrière les barrières de la colonie, se retrouve derrière le Mur de séparation, construit par le gouvernement d’Israël au début des années 1990 pour emmurer toute la Cisjordanie et annexer des terres supplémentaires. Depuis, Sami ne peut plus pénétrer sur son propre terrain quand il le souhaite. L’accès, restreint, lui est seulement possible via certaines portes ménagées dans le mur, et uniquement à certaines heures et certains moments de l’année. Sami doit demander l’autorisation aux autorités israéliennes pour se voir accorder l’accès à ses terres. Mais la plupart de ses demandes d’autorisation sont tout bonnement refusées.

Selon l’ONG de défense des droits de l’homme HaMoked, 72 % des demandes de fermiers palestiniens pour accéder à leurs terres, situées entre le Mur de séparation israélien et la « ligne verte » de 1967, ont été refusées en 2018. Un nombre en très forte augmentation comparé aux années précédentes.

Intimidation et violence à l’égard des civils

Les restrictions d’accès empêchent Sami de cultiver ses terres. De plus, elles se sont accompagnées d’une augmentation de la présence de colons israéliens sur son territoire. Cette présence se traduit très souvent d’attaques et agressions, contre ses terres et ses récoltes. Chaque année, lorsque Sami réussit à accéder à son terrain, il découvre avec horreur ses arbres sciés ou brûlés.  Un jour, il a également retrouvé ses terres inondées par les eaux usées, en provenance directe de la colonie d’Elkana. Une agression qui avait gravement endommagé le sol et asséché les arbres, les tuant lentement et empoisonnant leurs fruits.

Pendant la période de récolte des olives (d’octobre à novembre), Sami découvre chaque fois ses arbres vidés de ses olives. Quelques jours avant le début de l’autorisation de récolte, des colons israéliens entrent sur son territoire et lui volent ses olives. « Avant, je produisais près de 40 gallons d’huile d’olive chaque année avec mes récoltes. Cette année, je crois que je ne vais même pas dépasser les 5 gallons. »

Lorsque les colons incendient ses terres, Sami doit éteindre le feu par lui-même. Enfin, s’il a la chance d’avoir un permis d’accès le jour où cela arrive. « La dernière fois, en éteignant l’incendie avec un seau d’eau, j’ai vu les camions de pompiers de la colonie, en haut de la colline. Ils étaient plantés là, me regardant, sans bouger. Ils auraient agi seulement si l’incendie commençait à atteindre leurs maisons. »

Parfois, lorsqu’il est sur son terrain pour s’occuper de ses récoltes, des colons arrivent et l’agressent, jusqu’à le tabasser. Il y a trois ans, des colons israéliens ont essayé de le chasser de ses terres, lui hurlant : « Ces terres ne sont pas à toi, dégage ! » Devant son refus, deux d’entre eux l’ont roué de coups avec un bâton. Depuis, Sami arbore une cicatrice juste à côté de son œil.

« Accepter une indemnité ne ferait que légitimer leur présence sur mes terres »

Les attaques contre Sami et son territoire sont nombreuses et variées. Elles ont toutes le même objectif : le décourager de cultiver ses terres et le faire quitter le territoire. Ces violations israéliennes se traduisent également par la construction de routes, qui traversent certaines propriétés privées. Sami a perdu un demi-hectare au profit de la dénommée ‘Autoroute Cross-Samaria’ ou ‘Grande route n°5’, qui traverse son terrain. Les autorités israéliennes ont proposé à Sami une compensation pour ce « projet d’intérêt public ». Mais il a refusé de toucher de l’argent pour cela. En effet, pour lui, « Accepter une indemnité ne ferait que légitimer leurs actions et leur présence sur mes terres. »

Après des décennies d’attaques contre lui et ses terres—sa seule source de revenus—Sami estime ses pertes financières à près de 520 000 €. « Même si j’étais autorisé à accéder à mon terrain quand je le souhaite, je ne suis pas sûr que je pourrais réparer grand-chose. J’ai déjà dépensé tout mon argent pour payer des avocats qui essaient de récupérer mes terres. »

En l’absence de réels efforts des autorités israéliennes pour punir ce type d’agissements, la violence des colons se poursuivra sans relâche. Sami, lui, ne sait pas de quoi l’avenir sera fait pour ses terres. Mais il n’en présage rien de bon.  « Bien sûr que je suis inquiet pour l’avenir. Quand nous [les vieux] serons partis, que pourront faire les jeunes ? »

De nombreux autres fermiers et propriétaires palestiniens souffrent des conséquences de l’expansion de ces colonies israéliennes. Aujourd’hui, plus de 250 colonies illégales quadrillent la Cisjordanie occupée, abritant pas moins de 600 000 colons israéliens.

 

Première Urgence Internationale est présente en Cisjordanie depuis 2002, et dans la bande de Gaza depuis 2009. L’ONG focalise ses activités autour de la protection des populations. Les équipes accompagnent les civils palestiniens via la distribution de biens non-alimentaires et l’apport en cash. L’ONG mène également des actions de plaidoyer humanitaire pour rappeler les droits des civils palestiniens.

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