Paroles d’humanitaires en Colombie


En décembre 2021, le journaliste Jean-Paul Mari suit la route 55, que beaucoup de Vénézuéliens empruntent à pied pour rejoindre la Colombie. Depuis 2014, ils sont 6 millions à avoir quitté leur pays. Les équipes de Première Urgence Internationale se mobilisent pour répondre à leurs besoins. Jean-Paul Mari témoigne.

humanitaires en Colombie pour Première Urgence Internationale

Ils sont là, présents, du début à la fin de la chaîne, dès le passage par le Rio de la frontière du Venezuela, jusqu’aux étapes à l’intérieur de la Colombie, sur le long chemin qui conduit les migrants vers Bogota et le sud du pays. Les humanitaires de Première Urgence Internationale, ne peuvent pas se contenter d’apporter seulement des soins médicaux, des couvertures, des vêtements pour les enfants ou une consultation psychologique. Il faut tout faire à la fois. Une famille jetée sur les routes arrive avec des besoins multiples, des souffrances anciennes ou récentes, mal au corps, mal à l’âme, mal partout.

Tout au long du chemin, les humanitaires ont planté des points d’urgence et d’aide, les plus adaptés à l’étape. Tout commence par le premier contact, l’urgence, et continue des centaines de kilomètres plus loin par l’assistance à ceux qui arrivent, en lambeaux, et doivent continuer la route, vers le sud du pays, souvent en Équateur, au Pérou, et jusque vers Santiago, la capitale du Chili, à des milliers de kilomètres de leur village de départ. Des milliers de kilomètres à pied, dans la chaleur ou le froid des montagnes, avec la faim, la soif, la fatigue, les risques d’agression sur cette route de tous les dangers.

Soigner les corps

Sur la route. Diana, 30 ans, infirmière, fait partie de l’équipe mobile. D’Arauquita à Saravena, elle voit arriver les migrants malades ou blessés, des sans-papiers qui n’ont sur eux que le « carnet de la Patria » vénézuélien. Ils débarquent en Colombie après avoir marché des quatre coins du Venezuela, après parfois six ou sept jours de marche, en famille, vieillards accablés ou femmes enceintes tirant leurs enfants par la main. Les gosses sont dénutris, se contentant d’un mauvais repas par jour, souffrent de diarrhée et d’infections aux pieds à cause de la marche forcée. Diana se souvient de cette femme, enceinte de huit mois, qui a fait tout le chemin pour venir accoucher ici en Colombie. Ses deux autres grossesses, au Venezuela, se sont conclues par la mort des bébés.

À chaque intervention sur la route, Diana doit lutter contre tous les maux de la misère et du chemin. Parasitoses des gosses, dysenteries, dénutrition, COVID-19 mal soignée, manque de vaccins, blessures, épuisement… Diana et l’équipe donnent les premiers soins, dirigent vers l’hôpital, fournissent médicaments et conseils. Et les migrants repartent. Laissant la place à ceux qui arrivent, là-bas, au bout de la route.

humanitaires en Colombie pour Première Urgence Internationale

À l’hôpital. Carlos Alberto, 50 ans, est médecin, habitué des crises. Après dix-sept ans passés à la Croix-Rouge, il a rejoint Première Urgence Internationale et intégré l’unité installée à l’hôpital d’Arauquita, à quelques kilomètres du Venezuela, de l’autre côté du fleuve. Ses patients sont des migrants et, souvent, des « pendulaires », le nom des Vénézuéliens qui n’hésitent pas à faire l’aller-retour en pirogue pour venir travailler ici et recevoir des soins. Ses patients sont des enfants et surtout des femmes jeunes, enceintes et désespérées. De l’autre côté, la contraception est en échec permanent, à cause de l’inefficacité des injections de contraceptifs- produits peu fiables ou périmés – ou de la difficulté à obtenir des implants en silicones, contraceptifs coûteux, inaccessibles. Carlos se rappelle cette jeune femme de vingt ans, enceinte et déjà mère de quatre enfants, dont le premier conçu alors qu’elle avait… quatorze ans à peine.

Contraception, vaccins, médicaments pour cardiaques et épileptiques, tout manque au Venezuela où les hôpitaux disposent d’un personnel qualifié, mais impuissant face aux étagères vides des pharmacies.

Les hommes, eux, souffrent de maladies chroniques dues à la mauvaise alimentation : maladies du colon, gastrite et, pour tous, diabète et hypertension. Carlos sait tout soigner, vaccine à tour de bras et sa pharmacie est au complet, mais il désespère de voir arriver cette population inconnue, souffrante, dont les pathologies peuvent dégénérer, et qui repart de l’autre côté du rio ou prend la route de l’exil. « Je rêve de pouvoir, un jour, faire de la médecine à long terme. Pour l’instant, nous faisons de l’urgence. C’est indispensable. Et parfois miraculeux. »

Dans la cour de l’hôpital, femmes enceintes et hommes malades font la queue. Avant de repartir avec un diagnostic et des médicaments. Deux hommes, un fermier et un instituteur racontent comment leur village de « La Victoria » a vécu les deux mois de combats entre la guérilla et les forces militaires vénézuéliennes : « Kalachikov, blindés, hélicoptères… en une matinée, le village s’est vidé. Les habitants restants ont vécu terrés pendant des semaines ! » Tout à l’heure, les deux hommes repartiront en pirogue, mais pour venir jusqu’à la mission se faire soigner, ils sont prêts à retraverser le rio de tous les dangers.

Soigner les esprits

Alexandra, 31 ans, est psychologue. Tout au long de la route des migrants, des psychologues de Première Urgence Internationale appuient l’équipe de secours. On ne vient pas d’un pays en miettes après avoir marché des semaines sur des routes de montagne sans craquer. Le quotidien d’Alexandra est de recevoir et d’accompagner au mieux des hommes et des femmes en proie à la dépression, l’anxiété et parfois le « stress aigu », le trauma dû à un drame vécu sur le parcours.

Les gosses d’abord, en crise, dont les troubles psychosomatiques cachent la douleur, révèlent souvent une régression chez l’enfant déscolarisé, exilé, terrorisé, que les parents, impuissants, n’arrivent plus à protéger. Les pères ont perdu leur travail, ont vendu tout ce qu’il possédait et n’arrivent plus à nourrir leur famille, errent à la recherche de petits boulots à la première escale et, d’ouvrier, d’ingénieur ou de professeur, se font vendeurs de café dans les parcs, louent leurs bras ou font les poubelles. Déconsidérés.

Les femmes seules, elles, sont souvent victimes de violences conjugales ou sexuelles. Des proies à qui de « bonnes âmes » paient le passage de la frontière, en leur retirant leurs documents en gage, exigent l’impossible remboursement de la dette avant de les livrer aux réseaux de prostitution. Pour tous, c’est le choc, l’humiliation, la dégradation. Et, au pire, les viols sur le chemin, la perte des enfants ou la mémoire des combats sur la frontière en guérilla et armée ou entre bandes rivales.

À chaque étape, Alexandra et les autres psychologues des missions prennent le temps d’évaluer l’état psychologique des migrants, hommes, femmes et enfants, écoutent, conseillent, dirigent, parce les psys savent bien qu’il ne sert à rien pour un exilé d’arriver au bout du chemin si on s’est perdu en route.

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