Agriculture et dérèglement climatique : des enjeux mondiaux


Nicolas Granmont est ingénieur en agro-développement international et notre référent sécurité alimentaire, nutritionnel et moyens d’existence. Il évoque pour nous les conséquences du dérèglement climatique sur le domaine de l’agriculture et de la sécurité alimentaire dans les projets humanitaires.

©Moïse Kotto-Feindiro | Session d'appui aux maraîchers, à travers la mise en oeuvre d'un champs école paysan a proximité de Ndélé, en mars 2021

© Moïse Kotto-Feindiro | Session d’appui aux maraîchers, à travers la mise en oeuvre d’un champs école paysan à proximité de Ndélé (République Centrafricaine), en mars 2021

L’agriculture étant une des causes principales et une des premières victimes du dérèglement climatique, ses enjeux sont cruciaux dans la conception et le suivi des projets humanitaires.

« Actuellement, nous intervenons sur des projets agricoles dans environ huit pays en Asie, Moyen-Orient et Afrique sub-saharienne. Ces projets sont principalement tournés vers la relance agricole et l’appui aux développement des activités agricoles. L’objectif étant la sécurité alimentaire et l’amélioration des moyens d’existence des paysans, explique notre référent, il ajoute : « Dans nos zones d’intervention, le réchauffement climatique peut impacter la sécurité alimentaire à travers par exemple : une diminution des rendements agricoles et de la qualité nutritive des productions. Avec les effets des phénomènes extrêmes, nous faisons face à un risque de destruction des moyens de production qui vont impacter la production et également des interruptions sur la chaîne d’approvisionnement agricole qui vont limiter l’accès à l’alimentation. »

La modification des schémas de précipitation due au dérèglement climatique provoque, entre autres, une augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses et inondations ainsi qu’une augmentation des températures… Une sécheresse peut notamment ruiner une récolte ou tuer le bétail. Ces modifications peuvent donc impacter à plusieurs niveaux le domaine agricole et par conséquent la sécurité alimentaire mondiale.

« Une des premières conséquences liées au dérèglement climatique que nous pouvons observer sur le terrain est la variabilité climatique, le décalage des saisons, ce qui fait que le calendrier agricole est assez perturbé et la mise en œuvre des pratiques agricoles est sensiblement décalée, note Nicolas Granmont. Il ajoute : « De ce fait, les agriculteurs doivent « jongler » avec cette variabilité pour mener leur activité agricole : plus les saisons sont variables, plus il y a de risque de mauvaises récoltes par les agriculteurs car leurs pratiques ne sont pas adaptées à cette variabilité. »

Influence sur la stabilité d’une région

Le dérèglement climatique peut donc avoir un impact qualitatif et quantitatif sur les récoltes. Une incidence sur la productivité des agriculteurs peut entraîner une perte de ressources et influer sur l’instabilité d’une région. Ces pertes peuvent aussi, si elles persistent, entraîner l’exode des communautés rurales vers les zones urbaines.

« Au niveau des ressources naturelles, il y a une compétition qui s’est accrue et cela peut s’observer notamment dans les zones de transhumance. Dans certains pays, on remarque une augmentation des conflits entre agriculteurs et éleveurs pour l’accès aux ressources, celles-ci vont se faire plus rare du fait de la dégradation de l’environnement et du réchauffement climatique », souligne notre référent.

Comme expliqué dans notre premier article consacré à l’environnement, le lien entre dérèglement climatique et conflits est nuancé mais bien réel.

« Le dérèglement climatique va avoir un impact sur l’abondance des ressources naturelles et donc la compétition pour celles-ci. Qu’elle soit réelle ou imaginée, c’est la perception d’une pénurie qui agit sur les risques de conflit », rappelle dans l’article Jean Javogues, notre Directeur du développement et de l’innovation.

© Agnès Bouchez | Première Urgence Internationale intervient dans plusieurs pays estimés les plus vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique et actuellement en situation de conflits

© Agnès Bouchez | Première Urgence Internationale intervient dans plusieurs pays estimés comme les plus vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique et actuellement en situation de conflits

Ne pas empirer le problème

Lors d’interventions humanitaires sur le court terme, la méthode consiste à tenter de retrouver la situation agricole et alimentaire d’un territoire telle qu’elle était avant que la situation d’urgence soit advenue. Cela se fait principalement à partir des ressources et connaissances locales.

« Généralement les interventions humanitaires vont se faire sur des délais assez courts. Nous n’avons donc pas le temps de mettre en place des nouvelles pratiques qui demandent du temps, des formations, des moyens, de multiples adaptations et réglages pour être vraiment efficaces et donner des résultats à long terme », explique Nicolas Granmont. Il ajoute : « Ce que l’on peut faire c’est déjà veiller à ce que nos actions n’empirent pas le problème et ensuite qu’elles ouvrent le champ aux actions de développement qui permettront des pratiques plus durables. Une première piste de solution peut être de mettre en place le NEAT +*. Celui-ci permet de mesurer les impacts environnementaux des interventions pour éviter de dégrader la situation par la suite. »

Même si les interventions humanitaires se font dans des contextes où la situation sécuritaire est difficile, nos équipes spécialisées en sécurité alimentaire et moyens d’existence interviennent généralement dans un cadre où se trouvent un gouvernement et des services de l’État.

« Notre rôle est donc de soutenir le cadre existant lors de nos interventions, notamment en renforçant les services agronomiques étatiques qui vont reprendre la situation et encadrer les paysans pour le développement de ces pratiques durables. Il faut garder en tête que nous sommes là pour partir et que ces services sont là pour rester », complète l’ingénieur en agro-développement international.

© Moïse Kotto-Feindiro | Visite de suivi auprès d'un apiculteur a proximité de Ndélé (République Centrafricaine), en janvier 2021

© Moïse Kotto-Feindiro | Visite de suivi auprès d’un apiculteur a proximité de Ndélé (République Centrafricaine), en janvier 2021

Construire des alternatives ensemble

En plus de soutenir les services existants, il est essentiel que des solutions soient pensées et construites avec les populations.

« Dans le domaine de l’humanitaire, nous faisons souvent face à des contextes assez difficiles. Il est donc plus facile de modifier les pratiques et les approches dans les systèmes qui sont plus stables et où les gens ont déjà une sécurité alimentaire qui est assuréeCe qui est sûr, c’est que ces approches doivent être construites avec les populations. Ensemble, nous devons partir de ce qui existe en y ajoutant une expertise et de la recherche pour co-construire ces réponses », explique notre référent. « Bien évidemment avec les populations les plus vulnérables, la modification des pratiques est plus risquée. Il y a une difficulté supplémentaire pour mettre en place des pratiques, notamment agroécologiques, dans un contexte où la sécurité alimentaire est menacée. Mais impliquer les populations et construire des solutions avec elles est un moyen d’améliorer la sécurité alimentaire, tout en la rendant plus durable. »

Selon la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : « La sécurité alimentaire est définie par trois facteurs essentiels : la disponibilité de la nourriture, l’accessibilité de la nourriture et l’utilisation de la nourriture ».

On parle donc de sécurité alimentaire lorsque : « Tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, salubre et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. » (Comité de la sécurité alimentaire, 2009).

Selon le rapport « L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde », publié en juillet 2020** : « (…) près de 690 millions de personnes ont souffert de la faim en 2019, soit une augmentation de 10 millions par rapport à 2018, et de près de 60 millions en cinq ans. En raison des coûts élevés et de la faiblesse des moyens financiers, des milliards de personnes ne peuvent pas adopter une alimentation saine ou nutritive. C’est en Asie que les personnes qui souffrent de la faim sont les plus nombreuses, mais c’est en en Afrique que leur nombre croît le plus rapidement. »

 © Agnès Bouchez | Agriculture et dérèglement climatique impactent le monde. D’après les estimations des Nations Unies l’insécurité alimentaire touche encore aujourd’hui plus de 800 millions de personnes dans le monde

© Agnès Bouchez | D’après les estimations des Nations Unies l’insécurité alimentaire touche encore aujourd’hui plus de 800 millions de personnes dans le monde

Un futur qui se joue dès à présent

Agriculture et dérèglement climatique s’entrelacent avec la souveraineté alimentaire mondiale et va donc être centrale dans les discussions liées à l’adaptation et à la résilience climatique.

« Le réchauffement climatique impacte nos activités, car nous allons intervenir sur des crises qui sont causées par les conséquences du réchauffement climatique. Nous allons également les subir au cours de nos projets agriculture », insiste Nicolas Granmont.

Depuis 2020, les équipes de Première Urgence Internationale ont créé une Task Force Environnement au sein de l’organisation. À travers des réunions, formations, actions et échanges d’idées, les équipes travaillent à la réduction de leur impact environnemental, que ce soit au siège de l’ONG ou sur le terrain.

L’environnement et la prise en compte du dérèglement climatique font ainsi partie intégrante de la stratégie 2021 de l’ONG.

Pour plus d’informations sur les actions de Première Urgence Internationale en faveur de l’environnement, gardez l’œil ouvert sur les actualités et sur nos réseaux ou abonnez-vous à notre newsletter.

Relire le premier article de notre série consacrée à l’environnement.

* Le NEAT+ est un outil d’impacts environnementaux des projets humanitaires qui permet notamment d’inclure les risques climatiques et environnementaux dans la conception et la gestion des projets dans le but de les adapter aux conditions futures.

** Conjointement par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).


Nous vous conseillons également

Comment sont utilisés vos dons ?

Stats Chaque année, Première Urgence Internationale affecte l’essentiel de ses ressources aux programmes qu’elle déploie sur ses différents terrains d’intervention et seulement 0,2% à la recherche de fonds. Vos dons sont essentiels.

Reprendre en main son destin !

Vos dons sont les garants de notre liberté d’action. Ils nous permettent de venir en aide aux populations affectées par des crises oubliées qui ne retiennent l’attention ni des médias, ni des bailleurs de fonds institutionnels. Les sommes collectées constituent ainsi les fonds propres de l’association, lui donnant une autonomie d’action et une réactivité accrue.
Faire un don