Jehad Abu Hassan : 10 ans d’intervention à Gaza


Jehad Abu Hassan travaille depuis 2011 au sein de la mission Palestine de Première Urgence Internationale. Aujourd’hui Coordinateur terrain pour la bande de Gaza, il revient sur son parcours et partage avec nous les moments forts de son expérience au cours de cette décennie. Une période ponctuée de plusieurs guerres.

©Première Urgence Internationale | Réponse d'urgence suite à la guerre de 51 jours en 2014

© Première Urgence Internationale | Réponse d’urgence suite à la guerre de 51 jours en 2014

D’aussi loin qu’il se souvienne, Jehad a toujours été attiré par le domaine de l’humanitaire et porté par l’envie d’aider ses pairs. Il décrit ce choix de parcours comme « inné ».

« Depuis tout petit, j’aime aider et rencontrer des gens. Je me souviens que quand il y avait des internationaux à Gaza j’allais vers eux pour faire leur connaissance. Savoir que nous pouvons redonner le sourire, au moins durant un moment aux personnes dans le besoin est quelque chose de très touchant pour moi », raconte-t-il.

Son parcours en tant qu’humanitaire sur le terrain a débuté en 2003 au Burundi. Il a ensuite travaillé pour de multiples ONG en Afrique. C’est suite à des raisons familiales et de santé qu’il a décidé de quitter le continent africain et de revenir au Moyen-Orient.

« En 2009, j’avais encore mon contrat en tant que Chef de mission mais je voulais rentrer à Gaza et trouver un travail près de ma famille, c’était le plus important pour moi. C’est là que j’ai vu qu’il y avait un poste basé à Gaza avec Première Urgence Internationale. L’ONG m’a permis de rester sur la même mission durant ces nombreuses années, je suis très reconnaissant de cette flexibilité », explique-t-il.

Connaissance approfondie du contexte

Jehad retourne en 2011 dans la bande de Gaza où il a grandi, et rejoint une équipe de 14 personnes dédiée à la mise en œuvre de projets sur la zone d’accès restreint en mer et sur terre le long de la barrière avec Israël.

Ce territoire est considéré comme « zone sensible ». Les populations, en particulier les familles d’éleveurs, de fermiers et de pêcheurs, y sont confrontées à des risques particuliers et des violations récurrentes de leurs droits fondamentaux.

Une situation compliquée selon lui, qui témoigne de la réalité que vivent les habitants de Gaza depuis le déclenchement du blocus en 2007.

« Nous sommes restés sur l’axe principal qui est la protection, nous avons continué à travailler avec les fermiers et les pêcheurs qui sont constamment confrontés aux violations du droit international et des droits humains. Nous travaillons aussi auprès des communautés vulnérables, dans le domaine de la réhabilitation et de la construction, ainsi que dans celui de la sécurité alimentaire », énumère-t-il.

Un nouveau programme qui sort du lot est en cours de développement : « Il s’appelle INTIQAL 2030. Il vise à protéger et revaloriser le patrimoine aux côtés des jeunes et s’inscrit dans un objectif de développement socioéconomique de la communauté », explique notre Coordinateur terrain.

©Première Urgence Internationale | Étudiantes en archéologie et architecture travaillant sur une mosaïque ancienne

© Première Urgence Internationale | Étudiantes en archéologie et architecture travaillant sur une mosaïque ancienne

Montrer « un autre visage de Gaza »

Ce programme met en œuvre des mesures de protection sur deux sites archéologiques de la bande de Gaza (le monastère de Saint-Hilarion ainsi que l’église byzantine de Jabaliya), les seuls ouverts au public et qui sont tous deux directement affectés par le blocus.

En partenariat avec deux universités, le programme dispense aux jeunes architectes, archéologues et travailleurs qualifiés une série de formations pratiques sur diverses techniques de conservation et d’archéologie.

Un large éventail d’activités d’engagement communautaire, qui attirent un grand nombre de Gazaouis sur les sites, sont aussi organisées.

« Ce travail autour du patrimoine me tient réellement à cœur car cela montre qu’il n’y a pas que de la violence à Gaza. Ce projet donne une chance aux jeunes de développer leurs connaissances. C’est un trésor d’avoir des sites archéologiques de cette envergure. Celui de Saint Hilarion est le plus grand de toute la Palestine, voire du Levant, si on se réfère à sa surface et aux vestiges architecturaux. C’est une opportunité de montrer aux gens de Gaza un endroit qui peut être accessible aux enfants, un endroit de développement culturel, où l’on peut valoriser et protéger notre patrimoine culturel, renforcer l’engagement des jeunes par le volontariat, etc. », développe-t-il.

©Première Urgence Internationale | Coordinateur terrain à gaza sur un minutieux travail de restauration en cours

© Première Urgence Internationale | Minutieux travail de restauration en cours

Projets à taille humaine

Jehad explique que la plus-value de Première Urgence Internationale repose sur le fait que l’être humain est au centre des actions et que la transparence est le maître mot : « Il y a un respect envers les communautés soutenues, le plus important pour nous est leur protection et leur bien-être. Nous avons un lien fort avec elles et c’est très important de montrer que nous sommes là quand c’est urgent et que nous faisons le maximum. Même si l’aide que nous apportons n’est pas énorme au point de vue volume, elle arrive au bon moment et est donc énormément appréciée par la communauté locale. »

Dans le futur, notre Coordinateur terrain espère voir la situation s’améliorer et compte bien rester sur place pour continuer à développer des projets pour soutenir les populations les plus vulnérables.

« Je suis très content de travailler avec Première Urgence Internationale car c’est une organisation flexible et qui m’a apporté un grand soutien. J’aime beaucoup mon travail, même si la recherche de fonds et le reste sont parfois difficiles, on y arrive. J’aimerai continuer à développer notre intervention à Gaza. Je ne me vois pas aller autre part, je trouve qu’il y a de quoi faire ici et que ma présence est aussi importante qu’ailleurs », conclut-il.

© Première Urgence Internationale | Concertation de l'équipe après la guerre de 51 jours en 2014

© Première Urgence Internationale | Concertation de l’équipe après la guerre de 51 jours en 2014

 

Une « prison à ciel ouvert »

« Aujourd’hui on parle de 53% de taux de pauvreté. Nous ne sommes pas loin, selon la banque mondiale, de 60% de taux de chômage. Avec la COVID-19 en plus en 2020, les plus touchés ont été les travailleurs journaliers. La crise financière et les mesures qui ont été prises par l’autorité nationale palestinienne en mars 2017 ont également eu des répercussions, analyse Jehad Abu Hassan, il ajoute : « Tout cela fait que malheureusement il n’y a pas d’améliorations. Gaza est toujours sous blocus donc le gouvernement israélien peut fermer totalement les accès à tout moment sous prétexte de sécurité ou d’escalade des violences. »

Les coupures d’électricité récurrentes et le manque d’approvisionnement en fuel, si les passages commerciaux sont fermés, impactent tous les habitants et entreprises de la zone.

« Le ciel, la terre et la mer sont entre les mains des autorités israéliennes donc au final on dirait une prison à ciel ouvert », témoigne-t-il.

Les points de passage pour se déplacer hors de Gaza ne sont parfois ouverts que quelques jours par semaine avec de longues files d’attente et des permis délivrés au compte-goutte.

Pour changer d’air, l’équipe de Gaza se rend parfois en retraite dans des « chalets » proche de la mer, mais l’envie de remettre les compteurs à zéro et prendre des pauses dans d’autres pays reste forte.

« Nous aimerions sortir vers l’Égypte, ou aller en Cisjordanie… Nous avons pu le faire une fois mais nous n’avons pas pu obtenir des permis pour tout le personnel de Gaza. La situation est difficile, c’est pourquoi j’essaye d’être flexible et à l’écoute des équipes. »

Malgré tout, des projets tels que la préservation du patrimoine sont synonymes d’espoir et laissent entrevoir un panel d’opportunités et une fenêtre vers le futur…

 

Le programme INTIQAL 2030 est financé par le British Council’s Cultural Protection Fund en partenariat avec le Department for Digital, Culture, Media and Sport, ALIPH Foundation et l’Agence Française de Development (AFD).

*Ces propos ont été recueillis avant le 10 mai 2021

Lire notre déclaration suite au cessez-le-feu.

Se renseigner davantage sur le projet INTIQAL 2030 : protection, préservation et promotion des sites archéologiques historiques de la bande de Gaza.

Se renseigner sur la pollution intentionnelle des terres en Cisjordanie par les colonies israéliennes.


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