Afghanistan : Les femmes ont un rôle essentiel dans le système de santé


Infirmière en santé publique et médecine tropicale, Chantal Autotte-Bouchard exerce son métier dans différents contextes de crises humanitaires, notamment en Afrique subsaharienne, en Haïti mais aussi en Inde, avant de rejoindre Première Urgence Internationale en tant que Référente Santé au siège de l’organisation. Elle revient d’une visite faite en Afghanistan et partage avec nous son expérience.

Le rôle de Chantal consiste à accompagner les équipes de terrain dans la mise en œuvre des programmes de santé et d’en assurer le suivi qualitatif.

Si la prise en charge des enfants atteints de sous-nutrition n’a plus de secret pour elle, l’Afghanistan est cette fois un nouveau terrain pour Chantal. Il s’agit de saisir de nouveaux codes culturels, d’un pays qui entame un nouveau chapitre politique avec de lourdes conséquences sur le système de santé.

 « J’avais besoin de comprendre comment les équipes mettent en œuvre les activités de soin, avec qui et comment…s’il faut suivre le système de santé national ou si d’autres solutions sont à privilégier. La manière dont on pense nos programmes est déterminante : la mise en place d’une clinique mobile en Afghanistan ne se fera pas de la même manière qu’au Nigeria par exemple, qui est un contexte qui m’est plus familier.

Le bien-être d’une personne et les déterminants d’une bonne santé est propre à chaque individu, une approche centrée sur le patient va demander plusieurs ajustements, et les facteurs culturels jouent beaucoup dans la prise en charge de la personne. Il sera souvent nécessaire d’agir simultanément sur plusieurs volets : les soins de santé primaire, mais aussi la nutrition, l’accès à l’eau… ».

Tenir compte des contraintes du terrain

La mission en Afghanistan a été ouverte il y a plus de 40 ans par Aide Médicale Internationale qui deviendra par la suite Première Urgence Internationale. Les équipes ont une longue expérience dans la conduite de programmes de santé, et particulièrement au niveau des provinces où l’approche communautaire constitue la base du déploiement des activités. Les équipes travaillent en milieu rural afin que les familles vivant dans les zones les plus reculées puissent bénéficier d’un accès aux services de santé.

« La distance est bien sûr un frein important pour accéder aux familles et précisément aux femmes et aux enfants. On peut retrouver cette problématique au Congo où parfois les centres de santé sont très loin du domicile des patients. Ils peuvent faire des kilomètres pour s’y rendre et rentrer aussitôt chez eux parce que le centre est fermé par manque d’approvisionnement en médicaments par exemple, mais ça peut être aussi pour mille autres raisons.

En Afghanistan la distance joue en effet beaucoup, mais il faut aussi ajouter les aspects culturels : les femmes ne n’ont plus la chance de se rendre spontanément dans un centre si elles ne sont pas accompagnées d’un « Mahram », un chaperon qui est habituellement le conjoint ou le fils, voire le père de la patiente.

C’est pourquoi il est important de comprendre les codes traditionnels pour mieux analyser les solutions médicales qui ont été apportées par nos équipes. Il y a bien sûr des standards minimums pour les soins, mais la qualité de la réponse doit aussi tenir compte des contraintes du terrain. »

Éviter un système à deux vitesses

Le 15 août 2021 l’Afghanistan connaît un changement de pouvoir. Aussitôt la communauté internationale décide de suspendre l’aide bilatérale qui finançait en grande partie le système de santé afghan. Il n’est plus question d’octroyer des fonds aux institutions afghanes pour renforcer les politiques publiques du pays, l’aide transitera désormais essentiellement par les Nations Unies et les organisations humanitaires avec de nouvelles conditions.

Pourtant, les besoins sont toujours là et le défi est d’autant plus important qu’en 2023 deux personnes sur trois dépendent d’une aide humanitaire pour survivre. Les femmes et les enfants représentent 77% de la population et sont les premiers impactés par la détérioration des conditions de vie[1].

« Certains bailleurs refusent de financer des structures de santé fixes, si on veut maintenir l’accès aux soins des familles il faut dans ce cas privilégier les unités médicales mobiles. C’est ce que nous faisons d’ailleurs depuis de nombreuses années. La coordination principale de la mission est à Kaboul, tandis que nos bureaux situés dans les provinces de l’Est et Sud Est du pays organisent le déploiement des unités mobiles dans différents districts. Ceci en tenant compte des besoins et en veillant à ne pas court-circuiter les services de soins fixes qui arrivent à fonctionner.

Avec la décision de ne plus soutenir les structures fixes, le risque c’est d’avoir un système à deux vitesses pour la qualité des soins. Les unités mobiles peuvent être très bien équipées pour assurer les soins de premiers secours, tandis que certains centres ou hôpitaux de district n’auront pas les moyens suffisants pour prendre en charge correctement les patients dans la suite du parcours de soin. Nos équipes fournissent des services de base en santé primaire, et peuvent prescrire des traitements comme des antibiotiques dans certains cas, mais c’est vrai que si l’on veut garantir une prise en charge de qualité, c’est toute la chaîne du parcours de soin qui doit être renforcée.

Au sein de nos unités mobiles il y a généralement un médecin ou un infirmier, accompagné d’une sage-femme qui va à la fois couvrir les besoins en nutrition et l’accompagnement des femmes en pré et post natal.

Les unités mobiles vont par ailleurs permettre un rattrapage de vaccination notamment pour les enfants et les bébés, et se dotent de plus en plus d’un professionnel en santé mentale et pratique de soins pour créer des espaces de discussion avec les patients.

« La prévention reste un de nos principaux défis…

Là où les choses se compliquent, c’est lorsqu’on veut faire de la mobilisation communautaire pour des activités préventives ou la sensibilisation sur les pratiques de soin. Les femmes peuvent se rendre dans des lieux publics que si elles sont accompagnées de leur « Mahram », ce qui ne facilite pas pour elle l’accès et limite un milieu propice à l’échange. Il est encore moins évident pour elles de se réunir dans d’autres foyers avec des femmes qui ne font pas partie de leur cercle proche.

Au Sénégal les groupements communautaires se font de manière beaucoup plus spontanée, Ici, l’échange d’expérience entre les femmes, les mamans est moins évident. Sensibiliser sur des choses assez simples comme le lavage des mains après avoir changé son enfant ou sur les préconisations pour éviter les cas de diarrhée est parfois difficile sans la possibilité de faire des sessions collectives. Comme dans d’autres contextes se sont généralement les femmes avec leurs enfants qui assistent à ce genre d’atelier, tandis que les hommes restent un peu à l’écart ou attendent dehors. »

Les femmes jouent un rôle essentiel en santé publique…

Chantal travaille étroitement avec la Coordinatrice médicale de la mission. Lorsqu’elles se rendent toutes les deux dans une maternité, une sage-femme les accompagne pour montrer une salle d’accouchement…

« L’endroit n’était pas hyper ergonomique et la table d’accouchement était un peu froide. Là, je me dis que c’est mon regard d’infirmière occidentale qui me conditionne. Je balaie des yeux la salle qui n’offre pas beaucoup d’intimité, mais je vois cependant que l’équipement est là. Il y a tout ce qu’il faut pour faire un accouchement à peu près sécurisé. La sage-femme est ravie de pouvoir compter sur un matériel qu’elle n’avait pas nécessairement avant. Je réalise alors mon besoin de prendre un peu de recul tout en gardant les bases de la déontologie médicale autour du bien-être du patient. »

Obtenir ce matériel dans un contexte comme celui de l’Afghanistan devient un exploit. Un autre exemple illustre cette difficulté :  Première Urgence Internationale a mis plusieurs mois avant de pouvoir acheminer une cargaison de médicaments par avion. Il faut tenir compte des sanctions internationales imposées et des règles fixées par les nouvelles autorités. Après le dédouanement de cette cargaison, les équipes pourront enfin approvisionner leurs unités avec ces médicaments pour assurer les consultations.

Pour la sage-femme, continuer son travail est en soi un défi, et pourtant elle est centrale dans la prise en charge des femmes enceintes, allaitantes ainsi que des nourrissons et des jeunes enfants. Sans personnel médical féminin les unités mobiles qui se déploient en zone rurale n’auront plus accès aux femmes et aux filles, tout comme dans les unités fixes.

Sans le personnel féminin, c’est tout le système de santé qui est en péril.

[1] OCHA

Voir l’animation sur la place des femmes en Afghanistan :

Retrouvez les activités mises en place par notre mission en Afghanistan.

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