« Je voulais aller en Afghanistan »


Manasi est une jeune femme de 31 ans travaillant pour Première Urgence Internationale en tant que Coordinatrice adjointe de terrain dédiée aux programmes pour la mission en Afghanistan. Elle nous livre son expérience à travers une conversation qu’elle a eue avec Jeanne Hutin, Responsable des ressources humaines au siège de l’organisation. Pour elle, partir en Afghanistan aura été une décision significative tant sur le plan personnel que professionnel.

© Roya Heydari | Première Urgence Internationale

Depuis l’Inde vers la France

En Inde, Manasi obtient une licence en droit et commence à travailler avec son père dans le secteur du voyage et du tourisme. Elle enseigne simultanément dans des écoles françaises et espagnoles avant de décider de postuler pour un master en France.

Manasi : « J’ai eu l’opportunité d’enseigner l’anglais en France, c’est de cette manière que j’ai découvert ce pays une première fois. J’ai trouvé ce master en droit international humanitaire à Aix-en-Provence, j’ai postulé, et puis j’ai été admise. Comme cette formation est assez connue dans le secteur humanitaire, obtenir un stage n’a pas été très difficile. »

Jeanne Hutin (JH) : « Comment as-tu connu Première Urgence Internationale ?« 

M : « Pendant le master, nous avons eu un séminaire de cinq jours avec la Responsable du département technique de Première Urgence Internationale. Je savais que cette ONG donnait la possibilité aux étudiants d’aller sur le terrain une fois leur stage terminé, et c’est exactement ce que je recherchais. Après un premier stage au sein du service logistique d’une autre ONG, j’étais convaincue que je voulais me concentrer sur les programmes, et j’ai donc effectué mon deuxième stage à Première Urgence Internationale au sein du pôle Moyen-Orient. Après six mois, j’ai passé la validation technique pour le poste de Grants Officer[1]. »

Après avoir rejoint le vivier interne, Manasi a attendu quelques mois avant qu’un poste de Grants Officer se libère ; c’était pour une mission d’un an en Afghanistan. Manasi a obtenu le poste puis s’est envolée pour Kaboul.

 « Je voulais aller en Afghanistan »

M : « J’étais très heureuse. Je ne sais pas… J’ai toujours été curieuse de ce pays, surtout après avoir lu un article sur la destruction des Bouddhas de Bamiyan en 2000 : depuis, j’ai toujours voulu y aller.

J’étais très enthousiaste à l’idée d’aller en Afghanistan. D’une certaine manière, je me sentais vraiment proche de chez moi. J’ai l’impression que le nord de l’Inde ressemble un peu à l’Afghanistan et je peux aussi comprendre la culture, c’est beaucoup plus évident pour moi que pour quelqu’un qui vient d’Europe par exemple, parce que c’est beaucoup plus proche de l’Inde que de l’Europe. Et je pense que je peux aussi comprendre comment un Européen pourrait percevoir le pays, parce que j’ai été en France plus de six ans… Pour moi, c’est intéressant de voir ces différences aussi, surtout quand il s’agit des femmes, et aussi dans le travail, c’est assez utile d’avoir toutes ces perspectives. »

Lorsque Manasi était en Afghanistan, la situation sécuritaire n’était pas si mauvaise. Arrivée en octobre 2019, elle a pu se rendre plusieurs fois à Jalalabad et à Asadabad, dans la province orientale de l’Afghanistan où Première Urgence Internationale travaille depuis plus de 40 ans. Pour Manasi, aller sur le terrain permet de mieux comprendre la culture : « Vous comprenez comment les gens travaillent, quel est leur style de vie, quelles sont les règles sociales. Les interactions avec l’équipe sont beaucoup plus faciles. À Jalalabad, vous voyez les femmes toutes couvertes, et beaucoup d’entre elles ne parlent même pas aux hommes. »

Une expérience significative tant sur le plan personnel que professionnel

Travailler en Afghanistan pendant deux ans n’est pas facile. À peine 5 mois après son arrivée le monde est frappé par la pandémie de Covid-19. C’est le début d’une période sans précédent qui va nécessiter beaucoup d’adaptation.

M : « Nous sommes restés coincés à Kaboul pendant six mois. C’était comme une prison parce que nous ne pouvions pas sortir, nous ne pouvions pas marcher dehors, tous les vols étaient suspendus… Nous sommes restés dans la même maison pendant six mois, en voyant les mêmes personnes tous les jours, les jours se répètent encore et encore. Psychologiquement, ce n’est pas facile du tout de travailler avec les mêmes personnes et de passer les week-ends ensemble, mais ça allait quand même car les collègues étaient très gentils, et nous sommes devenus comme une famille. C’est une chose que j’aime vraiment chez Première Urgence Internationale : c’est une très bonne équipe. Même s’il y a beaucoup de travail, je pense que j’étais quand même très motivée de continuer à travailler parce que l’équipe a toujours été formidable. »

Dans un contexte très risqué comme celui de l’Afghanistan, les travailleurs humanitaires sont préparés à faire face à tout type de situation d’insécurité. « Un jour, alors que nous nous apprêtions à sortir, l’équipe a décidé de faire demi-tour : le voyage a été annulé à cause d’une explosion qui a eu lieu proche de l’endroit où nous nous trouvions. Nous pouvions voir la fumée s’élever. Les déplacements peuvent être annulés à la toute dernière minute, c’est très frustrant. »

En septembre 2020, Manasi a été évacuée pour des raisons de sécurité, ainsi que d’autres collègues, lorsqu’elle a terminé sa mission de Grants Officer. Passant au poste de Responsable des programmes, elle a dû trouver un moyen pour garder la proximité avec l’équipe nationale malgré le fait qu’elle travaillait à distance depuis la France et l’Inde.

M : « Heureusement, j’avais déjà rencontré les équipes avant de travailler à distance, ce qui a facilité le maintien du lien. Le fait d’être une femme a été un atout pour garder le contact avec le personnel féminin, car souvent les femmes ne rendent pas compte à leurs managers masculins. Je pense que c’est une bonne approche d’avoir un homme et une femme pour la coordination sur le terrain. Surtout pour cette mission. »

JH : «Quelques mois après ton retour en Afghanistan, on t’a confié une plus grande responsabilité au sein de la mission… en te proposant le poste de Coordinatrice adjointe sur le terrain. Le fait d’avoir trois postes différents au sein de la même mission facilite-t-il le travail ou pas nécessairement ? »

M : « Sans aucun doute. Je pense que je peux comprendre d’où peuvent venir les enjeux, quels peuvent être les obstacles à la mise en œuvre de quelque chose, si une activité est possible ou non. Parce que parfois, quelqu’un propose une idée qui semble incroyable, mais en étant depuis si longtemps sur cette mission, je peux dire si c’est possible ou non.

En général, ce que j’ai aimé, c’est l’équipe ; je me suis bien entendu avec presque tout le monde. Je n’aurais pas été capable de gérer une telle quantité de travail sans avoir une si bonne équipe. Il y a vraiment beaucoup de travail, mais malgré tout ce qui s’est passé, j’étais toujours motivée à travailler sur cette mission… Les gens sont vraiment étonnants ; tout ce qu’ils disent, ils le disent avec leur cœur. Ils gardent constamment la foi, c’est très impressionnant. Malgré tout, ils sont toujours souriants, et je n’arrive pas à savoir comment ils font. J’ai vraiment beaucoup de respect pour cela. C’est pourquoi j’aime vraiment travailler sur cette mission. Le pays et les gens sont magnifiques. »

Travailler en Afghanistan avec Première Urgence Internationale
© Roya Heydari | Première Urgence Internationale

Le 15 août 2021, l’Emirat Islamique d’Afghanistan (EIA) prend le pouvoir à Kaboul, un nouveau chapitre s’ouvre avec son lot d’incertitudes

M : « Il y avait beaucoup d’affrontements dans l’est du pays. Cela a commencé autour de  Laghman ; Jalalabad était relativement stable à cette époque. À Laghman, il y a eu un conflit entre l’armée nationale afghane et les forces de l’Emirat Islamique d’Afghanistan (EIA) pour prendre le contrôle de plusieurs districts. Personne ne s’attendait à ce que les provinces tombent si vite. Kaboul a été sous le contrôle de l’EIA en l’espace de quelques semaines, c’était assez surprenant. Même les forces américaines ne s’attendaient pas à ce que la chute de Kaboul soit si rapide. En tant que personne extérieure, c’était un choc pour moi, alors je ne peux pas imaginer à quel point cela a choqué les Afghans, surtout les femmes.

Après cela, il y a eu une période d’incertitude suite au changement de pouvoir, les gens étaient très confus quant à ce qui allait se passer. Le personnel était assez stressé pendant ces trois ou quatre dernières semaines. Maintenant, je pense qu’ils vont mieux. »

JH : « Première Urgence Internationale a décidé de rester et de maintenir son aide en Afghanistan malgré ce changement de pouvoir, qu’as-tu pensé de ce positionnement ?

M : « Oui, nos activités ont été suspendues pendant une journée lors du transfert de pouvoir, mais sinon aucun des programmes n’a été interrompu.

En tant qu’organisation de santé, Première Urgence Internationale est très bien accepté sur le terrain, nous sommes présents dans l’est depuis quarante ans, c’est assez impressionnant de voir que presque tout le monde connaît l’organisation dans l’est, ça n’a jamais été un gros problème pour nous. C’est pourquoi je pense vraiment que Première Urgence Internationale est légitime pour se positionner sur cette crise, car nous avons l’expertise et la connaissance de la région. Nous avons toujours clarifié nos activités auprès des autorités, notamment lorsque nous avions besoin que les femmes participent à nos activités, nous expliquions pourquoi cela était nécessaire. Nous nous coordonnons avec les autorités à l’avance, et pour l’instant nous n’avons pas eu de problèmes. »

Pendant la période de conflit armé actif dans les provinces de l’est, l’équipe sanitaire mobile de Première Urgence Internationale a dû adapter ses activités en fonction de la situation sécuritaire. A cette époque, personne ne savait combien de temps le conflit allait durer. Lorsque le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir, le contexte sécuritaire s’est stabilisé dans de nombreuses provinces.

Les nouveaux défis concernaient plutôt l’envoi de fonds à la mission, car l’ensemble du système bancaire était paralysé, les chaînes d’approvisionnement internationales n’étaient plus possibles en raison de la suspension des vols commerciaux et des sanctions imposées au nouveau gouvernement. L’impact le plus important pour les équipes a été le manque de médicaments, essentiels pour les activités de santé sur le terrain.

Aujourd’hui, il n’y a pas de conflit actif, « mais nous devons davantage dialoguer avec les autorités si nous voulons faire des enquêtes au sein des ménages, particulièrement si nous voulons mobiliser les femmes ou si nous voulons mettre en œuvre des activités uniquement pour elles. »

Quelle est la suite pour toi ?

JH : « Pour en revenir à ton parcours professionnel : tu es en mission en Afghanistan depuis presque deux ans. Comment vois-tu ton avenir ? Quel pourrait être ton prochain objectif ? »

M : « Peut-être que plus tard je me lasserai des programmes et que je changerai pour autre chose, mais pour l’instant je suis vraiment intéressé par les programmes.

Je suis dans cette mission depuis deux ans, mais le rôle que j’ai joué a constamment évolué. Chaque fois que je pensais atteindre un pallier le changement de poste me faisait apprendre de nouvelles choses. Maintenant, même si cela fait presque cinq mois que je suis Coordinatrice adjointe sur le terrain, j’apprends chaque jour : la mission est en pleine expansion et il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous devons faire nos preuves, c’est donc une phase intéressante pour faire partie de cette mission.

Je suis heureuse de continuer à faire ce que je fais. Malgré la fatigue, j’ai toujours autant de plaisir pour mon travail. Je pense que Première Urgence Internationale fait du très bon travail dans l’est . »

[1] Chargée des financements institutionnels


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