« Je voyais uniquement des gens armés, qu’ils soient civils ou militaires »


Première Urgence Internationale intervient depuis octobre 2013 au Mali malgré un accès difficile aux populations. En effet en octobre 2017, le rapport annuel du Secrétaire général de l’ONU souligne que la situation sécuritaire et humanitaire s’est « nettement détériorée » au Mali. Moustafa Saadou a passé 10 mois dans le pays en tant que coordinateur médical pour Première Urgence Internationale.

Sécurité au Mali

Comment s’est déroulée ton année dans le pays ? As-tu ressenti que la sécurité au Mali est instable ?

Je travaille en tant qu’humanitaire depuis 2005. C’est la première fois que je me retrouve au milieu d’une situation sécuritaire similaire c’est  à dire une zone de conflit armée. J’ai pourtant voyagé dans de nombreux contextes de crises mais la sécurité au Mali, c’est vraiment particulier.

Par exemple, lorsque je suis arrivé à Gao au Nord du pays, j’ai eu l’impression de me retrouver dans un camp militaire. Je voyais uniquement des gens armés, qu’ils soient civils ou militaires. Dans cette zone, les populations ont peur de se déplacer par crainte de se faire agresser. Ce contexte de crise a profondément dégradé le système sanitaire. Les populations en souffrent énormément. Notre présence dans le pays est nécessaire et, même si ce n’est pas facile d’y travailler, c’est satisfaisant de savoir que nous intervenons dans des zones où les besoins sont importants et où peu d’ONG sont présentes notamment à Kidal.

Quels sont les besoins en santé au Mali ?

À cause de la crise, de nombreuses infrastructures de santé ont été détruites. En plus, toute l’organisation du système de santé s’était  effondrée. Avant la crise, les communautés géraient les structures sanitaires de façon autonome  dans le pays. Elles étaient regroupées au sein d’associations de santé communautaire « ASACO ». Une « ASACO » est une association privée sans but lucratif regroupant des habitants d’une même zone géographique dénommée « aire de santé », qui assure la gestion d’un centre de santé communautaire et conduit dans cette zone des activités de protection et de promotion de la santé.

Une femme et ses enfants en consultation médicale

© Traoré Aboubacar

Avec la crise, le pouvoir d’achat des populations a baissé considérablement. Beaucoup de Maliens, dans les zones affectées par la crise, ont été pillés et beaucoup ne pouvaient plus s’offrir des soins de santé. Après la crise, le gouvernement a donc déclaré la gratuité des soins pour les populations. Mais le système précédent ne pouvait plus fonctionner. En effet, l’association avait besoin d’argent pour faire vivre ces centres de santé.

Les besoins en santé sont donc aujourd’hui très importants dans le pays. Dans le nord du Mali, les habitants souffrent plus de malnutrition, d’infections respiratoires, du paludisme et de diarrhée. Première Urgence Internationale intervient dans le cercle  d’Ansongo et dans la région de Kidal et travaille au sein de 26 structures de santé (10 à Kidal et 16 à Ansongo). Nous effectuons des réhabilitations dans les structures sanitaires, soutenons ces structures en ressources humaines, formons du personnel et supervisons leurs activités.

À quel point est-il compliqué de travailler au Mali ?

Nous avons également mis en place des cliniques mobiles qui se déplacent vers les zones dans lesquelles les structures sanitaires ne sont pas fonctionnelles, et vers les populations nomades qui vivent dans les zones reculées. Ces cliniques sont composées de médecins, infirmiers vaccinateurs ou chargés de la pharmacie et de sages-femmes ou infirmières obstétriciennes. Elles sortent 9 jours, deux fois par mois, auprès des populations qui ne peuvent pas se déplacer. Les équipes mobiles sont très sollicitées dans ces zones qui n’ont pas accès aux soins médicaux.

Nos équipes doivent donc se déplacer régulièrement. Les problèmes de sécurité au Mali rendent ces déplacements parfois difficiles. Les déplacements des équipes se décident le jour même des mouvements des cliniques mobiles car la situation est imprévisible. Lorsque je me suis rendu dans la zone, j’ai appris qu’un camion avait explosé dans la région environ 2 heures avant mon arrivée. Une mine anti-char avait été posée en plein milieu du goudron.

Un médecin discute avec un patient allongé

© Traoré Aboubacar

Est-ce que cette situation rend le travail des équipes dangereux ?

Nous avons un référent sécurité dans le pays qui fait une veille régulière et qui valide chaque déplacement selon le contexte de sécurité au Mali. Première Urgence Internationale également est bien acceptée dans la zone. Nous travaillons avec des autochtones qui connaissent bien la région. Ils ont l’habitude d’être en relation avec les autorités sur place. Nous ne mettons pas en danger nos équipes et parfois, nous sommes contraints d’arrêter nos activités car la situation est trop tendue. C’est arrivé quelquefois et évidemment, ce sont nos bénéficiaires qui en souffrent. Cette année, je n’ai pas pu me rendre dans la zone de Kidal pour des raisons de sécurité au Mali.

Nous ne prenons aucun risque pour nos équipes mais en même temps, nous tenons à nous rendre dans les zones difficiles d’accès où il y a des besoins importants et où il n’y a aucune ONG. C’est d’ailleurs une spécificité de Première Urgence Internationale et les équipes maliennes en sont fières.

© Photos de Traoré Aboubacar

Ce projet au Mali est soutenu par la Direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO).


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